Un Juif peut-il croire dans le Messie et rester juif ?

Ainsi formulée, la question peut sembler étrange, comme si l’appréciation qu’un juif devait avoir du Messie déterminait le rapport qu’il avait avec son identité. Cela peut paraître d’autant plus incongru que le messianisme est fortement présent dans la pensée juive depuis des siècles.

En réalité, la Torah et les prophètes sont perçus par la plupart des rabbanim comme une « invitation » à découvrir le profil du Messie à venir. Beaucoup pensent même que le choix des livres composant le Tana’h a été fonction du caractère messianique de leur contenu.

Cela étant, la question posée dans le titre de notre texte sous-entend dans les faits une histoire fort mouvementée où chrétiens et Juifs se sont déchirés avec plus ou moins d’intensité sur le caractère messianique de Jésus. Et au bout du compte, le monde chrétien a refusé au juif la possibilité de croire en Jésus et de demeurer juif sur un plan formel, par ses traditions religieuses et même son identité culturelle. De leurs côtés, les rabbins ont estimé impossible de reconnaître Jésus comme le Messie d’Israël dès lors qu’ils étaient jugés collectivement responsables de sa mort et étant même persécutés en son nom.

Le temps ayant fait son œuvre, le fossé creusé par l’anathème jeté au visage de l’autre semblait impossible à combler. Et pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. L’examen objectif du profil messianique de Jésus, appelé Yéchoua’ en hébreu, ne permet pas d’aboutir aux conclusions radicales prônées par les institutions chrétiennes et rabbiniques.

 

La renaissance du mouvement messianique au début du 19e siècle et l’engouement de beaucoup de Juifs pour le messie juif Yéchoua’, a constitué un tournant historique en même temps qu’inattendu. Tandis que soufflait sur toute l’Europe l’émancipation des principales minorités, notamment juives, beaucoup craignaient une assimilation rapide des Juifs dans les communautés nationales. Or cela ne s’est pas confirmé comme certains l’imaginaient. Dans le même temps, les persécutions ont repris, le sionisme s’est construit et beaucoup ont pris le chemin du retour au pays de la promesse.

Par ailleurs, les Juifs qui acceptaient Yéchoua’ comme Messie ont pour beaucoup revendiqué leur identité juive et ont souhaité inscrire leur démarche de foi dans celle des premiers Juifs qui avaient suivi Yéchoua’, dix-huit siècles plus tôt. Ainsi est revenu d’actualité le mouvement messianique qui depuis n’a cessé de s’étendre et de grandir dans de nombreux pays, notamment Israël.

Cela étant, la vindicte chrétienne et les siècles d’obscurantisme et d’anathème réciproque ne sont pas nés du simple différend à propos de la messianité de Yéchoua’. Soyons honnêtes, il y a eu de la part des autorités chrétiennes une volonté de se « substituer » au peuple d’Israël dans l’élection divine. L’avènement de « l’Église universelle » ne pouvait se pérenniser véritablement que dans la disparition de « l’autre », son éviction de la « famille » en quelque sorte.

La Bible relate de nombreuses situations analogues qui se sont diversement terminées. Caïn et Abel sont sans doute la première et la plus tragique de ces fratries en apparence impossibles. Les conflits entre Isaac et Ismaël, Jacob et Ésaü se sont heureusement mieux conclus. Mais au départ, il y a toujours eu le choix souverain de Dieu qui a semblé contrarier l’un des protagonistes. Se peut-il vraiment que Dieu se trompe au point d’entrainer des situations complexes et des ruptures ?

Avec le recul de l’histoire, même si certaines choses nous échappent encore, nous comprenons peut-être mieux les « arguments » de Dieu. Les choix divins dissimulent des intentions que les prophètes tentent de révéler de manière subtile. Mais que de déceptions et parfois de chemins tortueux qui auraient pu être évités si tel frère n’avait pas été jaloux de l’autre au point de chercher son éviction !

De leur côté, les Juifs ont craint de perdre en quelque sorte leur « droit d’aînesse » au profit d’un « frère » aux ambitions apparemment démesurées, ce dans un contexte géopolitique peu favorable à la nation juive. Le débat spirituel est alors sorti de sa sphère interne pour déborder au milieu des nations. La situation leur échappant, les chefs religieux juifs ont préféré renier l’un des leurs.

Dans le même temps, la frange non juive de la communauté des disciples de Yéchoua’ s’est largement accrue et, pour presque les mêmes raisons que leurs adversaires juifs, ont choisi de s’émanciper de leurs racines juives, au point de s’affranchir de tout ce qui pouvait les relier au judaïsme biblique. La rupture était ainsi brutalement consommée au bout de quelques générations seulement.

La question posée en titre est donc à considérer dans un contexte historique fort long et chargé de préjugés. Il est probable qu’au 1er siècle, personne n’aurait présenté les choses de cette manière. Que l’on discuta de la messianité de Yéchoua’ était légitime, mais en aucun cas l’identité d’un Juif n’aurait été remise en cause du fait de son affiliation à Yéchoua’. En réalité, le débat a porté davantage sur le statut accordé aux non-juifs venant à la foi en Yéchoua’ (Actes 15). C’est notamment ce qui a été en discussion au concile de Jérusalem en 49. Ce sujet a été abordé dans un article (voir BI n° 571).

De nos jours, ce qui frappe les esprits, c’est la pérennité d’Israël qui en dépit de tout ce qui aurait pu le faire disparaître depuis des siècles est toujours bien présent et même au cœur de l’actualité mondiale. Assurément, l’avènement du Messie Yéchoua’ il y a 2000 ans et la disparition du Temple peu après, avec toute l’économie lévitique qui en dépendait, n’ont pas été les signes d’une déchéance d’Israël dans le cœur de Dieu. S’il y a eu des malentendus tragiques, aux conséquences parfois terribles, Dieu est resté au contrôle des évènements de l’Histoire. Les prophètes ont même, à bien des reprises, annoncé ce qui devait se produire et il résonne encore dans notre dos un franc : « Je vous l’avais bien dit… » qui nous fait rager contre nous-mêmes de nos défaillances et de notre manque de clairvoyance.

Aujourd’hui, affirmer qu’Israël est un « accident » de l’histoire, sans lien avec ce qu’avaient annoncé les prophètes, est le témoignage d’un aveuglement patent. Évoquer l’Église comme le « véritable » Israël, élu par Dieu, et les Juifs comme un peuple déchu du rôle qui avait été le sien, c’est faire preuve d’un antisémitisme maladif et faire mentir le Seigneur lui-même.

Deux passages au moins mettent en exergue la place d’Israël au milieu des nations :

Exode 19:5-7 : Maintenant, si vous écoutez ma voix, et si vous gardez mon alliance, vous m’appartiendrez entre tous les peuples, car toute la terre est à moi ; vous serez pour moi un royaume de sacrificateurs et une nation sainte. Voilà les paroles que tu diras aux enfants d’Israël.

Deutéronome 4.6 : Vous les observerez et vous les mettrez en pratique ; car ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples, qui entendront parler de toutes ces lois et qui diront : Cette grande nation est un peuple absolument sage et intelligent ! Quelle est, en effet, la grande nation qui ait des dieux aussi proches que l’Éternel, notre Dieu, l’est de nous toutes les fois que nous l’invoquons ? Et quelle est la grande nation qui ait des lois et des ordonnances justes, comme toute cette loi que je vous présente aujourd’hui ?

Israël, de même que chacun des Juifs qui le composent, n’a donc de sens qu’au travers cette révélation multi millénaire.

Celui qui se définit comme juif s’inscrit alors comme un maillon, une pièce du puzzle, dans cette architecture voulue par Dieu au travers de la famille d’Israël. Quand bien même Israël a failli maintes fois dans son rôle, Dieu ne l’a aucunement écarté. L’Histoire avec un grand « H » confirme le témoignage d’Israël dans ses réussites et sa fidélité à la Torah, mais aussi dans ses défaillances et ses désobéissances. Sur un plan plus individuel, tous les israélites n’ont pas été fidèles, même lors des périodes de réveil spirituel et de prospérité économique. En réalité, le témoignage d’Israël est manifeste dans sa fidélité comme dans ses errements.

De son point de vue, le Juif messianique a nécessairement conscience de son identité et de sa place au sein d’Israël. Celles-ci traversent le temps et le relient avant tout à sa « famille » qui au fil des siècles a rempli un rôle, parfois sans en avoir conscience, de transmetteur du message divin.

Mais là ne s’arrête pas son rôle. Le Juif disciple du Messie Yéchoua’ élargit en quelque sorte sa fonction initiale de témoin de Dieu dans le monde de par le fait de sa filiation à Israël. Il acquiert le privilège nouveau et la responsabilité nouvelle d’être ambassadeur de Yéchoua’ pour sa famille premièrement, puis pour les nations.

Si jusque-là, de par son ascendance, il avait été de fait un acteur plutôt « passif » au service du Dieu d’Israël. À présent, il est un « ambassadeur » engagé, nommé par le Messie Yéchoua’ lui-même.

Cependant, la situation de nos jours a bien changé par rapport à celle des débuts des premières communautés messianiques. Bien des chrétiens considèrent aujourd’hui le rôle premier d’Israël décrit dans les versets d’Exode et du Deutéronome comme révolu de fait ou imparfaitement accompli de toutes les manières.

Ainsi donc, il n’existe plus à leurs yeux un rôle transcendant l’histoire pour le peuple juif, dès lors qu’Israël a rejeté son messie en la personne de Yéchoua’.

C’est la nouvelle communauté des croyants juifs et non-juifs qui remplit cette fonction depuis 2000 ans, quoiqu’imparfaitement.

En effet, Juifs et non-juifs sont unis dans le Messie Yéchoua’ et c’est lui, le Messie, qui constitue le socle de leur identité commune, leur héritage ne tenant plus à une ascendance particulière, sinon celle d’Abraham à qui avait été faite la « promesse » (Genèse 12.3).

L’unité du « Corps d’ambassadeurs » du Messie qu’ils forment ensemble tient au Messie lui-même et non à ceux qui le composent.

Au premier siècle donc, les Juifs qui avaient cru dans le Messie n’avaient pas à revendiquer ou à ajouter d’autres choses à Yéchoua’ lui-même pour appartenir au Corps messianique.

De même, les non-juifs ne pouvaient pas exiger ou soustraire quoi que ce soit à Yéchoua’ le Messie pour appartenir au même Corps messianique que les Juifs.

Cela étant, il n’a pas été aisé pour les apôtres d’accepter que des non-juifs se joignent à eux et il a fallu des signes de Dieu tangibles pour infléchir leur cœur. Assurément, le plan de Dieu ne consistait pas à sauver les seuls Juifs. Yéchoua’ a souffert et il a versé son sang aussi pour les païens, conformément à ce que les prophètes avaient annoncé.

Cependant, après l’accession à la foi de nombreux païens, certains Juifs messianiques estimèrent qu’il fallait contraindre les croyants d’origine païenne à suivre les rites mosaïques, notamment la circoncision (Galates 2).

L’apôtre Paul s’employait alors à démontrer l’impertinence à réclamer des non-juifs l’observance de règles qui ne les concernent pas.

Les responsables de l’assemblée messianique de Jérusalem se réunirent pour en débattre (Actes 15) et leurs conclusions peuvent laisser le lecteur du XXIe siècle perplexe. Nous n’avons pas ici le temps d’analyser en détail les quatre recommandations apostoliques (voir BI n° 571). En filigrane de celles-ci se trouve réaffirmé le fondement de l’unité des croyants juifs et non-juifs en Yéchoua’. Mais en germe se dessinent les premiers changements qui conduiront à la rupture.

Réunir les Juifs et les non-juifs sous la bannière du Messie était-il une erreur divine ?… Assurément non !

Yéchoua’ est bien le Machia’h des Juifs comme des non-juifs. Cependant, l’identité du Messie est reliée indiscutablement au peuple juif en vertu d’un choix souverain de Dieu sur Israël.

N’en déplaise à certains, il n’y a pas d’identité universelle du Messie. Celui-ci est fils de David et roi d’Israël, conformément aux prophéties à son sujet. Sa mission et son œuvre ont été accomplies en vertu de ce qui avait été annoncé et en conformité à la Loi, la Torah et les prophètes.

Le Messie Yéchoua’ est bien le Messie juif venu d’abord pour les Juifs, puis pour les non-juifs.

Le Juif messianique, comme d’ailleurs le chrétien, est profondément attaché au messie juif des Évangiles qui le relie implicitement à toute la Loi et les prophètes. Et ce n’est pas ici que des mots. L’expression « Messie juif Yéchoua’ » a une résonnance plus forte que les cloches des églises d’aujourd’hui pour les chrétiens.

Cela étant, le Juif messianique s’inscrit indubitablement dans la sphère juive. Certes, beaucoup fréquentent de nos jours des Églises diverses et variées, cherchant et trouvant, peut-être plus qu’à la synagogue, une communion spirituelle et une fraternité sincère. Malgré tout, peu d’Églises ont conservé le calendrier des fêtes bibliques, le Chabbat, les coutumes et traditions au moins pour les Juifs en leur sein.

Mais pour d’autres, en s’inscrivant dans la sphère juive plutôt que dans celle chrétienne, ils renouent le lien avec les racines originelles du judaïsme biblique, mettant en lumière le sens messianique de toute leur piété.

Ainsi donc, les fêtes, la circoncision, le Chabbat, Pessa’h, etc. prennent un sens nouveau dans la transmission de la foi et le témoignage.

Pour le non-juif, le problème réside essentiellement par le fait que toute l’histoire de l’Église s’est construite en opposition à ce qui constitue la sphère juive. Il n’est donc pas facile pour le non-juif de quitter la sphère chrétienne et renouer avec les racines juives de sa foi sans bousculer toute l’architecture de sa piété personnelle et collective.

Chacun est en général profondément attaché à son identité ecclésiale avec toutes les traditions qui s’y rapportent.

Certaines traditions chrétiennes peuvent être positives à plus d’un titre, mais elles entrent souvent en conflit avec la piété juive. En réalité, bien des aspects de la piété chrétienne n’ont aucun fondement biblique et empruntent largement au paganisme. Le temps a simplement permis d’harmoniser les deux.

Le Juif messianique est profondément attaché à sa famille : Israël.

Dans les temps modernes que nous vivons, c’est un sujet qui fait souvent débat. Mais il a été encore plus contesté dans les premiers siècles. Il y a d’abord le registre du rapport à la vie sociale, surtout en diaspora où les Juifs vivent avant tout en communauté solidaire.

C’est ainsi que les Juifs sont particulièrement préoccupés par les sujets tels que l’éducation juive d’une manière générale, la transmission des valeurs propres aux racines juives de la « famille ». La célébration de Pessa’h a notamment cette résonnance. Cette préoccupation transcende le cercle immédiat de la famille juive. La sécurité et l’antisémitisme sont aussi des sujets majeurs qui rapprochent. Enfin, la mémoire de la Shoah est un traumatisme qui transcende toute la famille d’Israël par delà les générations.

L’autre point névralgique est la relation avec l’État d’Israël. La solidarité avec la population israélienne est un point fondamental qui relie le Juif avec l’ensemble de la communauté juive de par le monde. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un positionnement proprement politique, mais d’un rapport intrinsèque avec la terre d’Israël. De manière consciente ou non, le Juif a toujours quelque part cet appel et une « valise » prête pour le départ et le retour en Erêtz Israël, quand bien même il n’aurait jamais mis les pieds dans le pays.

Le Juif messianique s’inscrit nécessairement dans cette solidarité intime avec la communauté juive et la terre d’Israël. Cette dimension le traverse de manière irrationnelle.

Comme déjà évoqué plus haut, le Juif messianique est un « ambassadeur » du Messie Yéchoua’, témoin de sa foi en premier lieu auprès de celles et ceux de sa communauté.

Ce n’est pas ici une option gratuite et facultative. Cette mission découle naturellement de son attachement au Messie Yéchoua’ et de l’obéissance au mandat qu’il a confié à ses disciples. En définitive, celle-ci n’est dans le fond pas si éloignée de ce que l’Éternel demandait au peuple d’Israël et de ce que n’a cessé de faire le patriarche Abraham.

Mais il convient d’être clair. L’objectif n’est pas de gonfler les rangs de telle ou telle Église, ou même d’une synagogue, mais de faire de nouveaux disciples du Messie juif Yéchoua’.

Certains pourraient s’offusquer d’une telle « mission » dans une société libérale et laïque comme la nôtre. La réalité du monde moderne et son cortège d’extrémismes religieux et violents nous rendent naturellement méfiants. Mais l’exhortation multi millénaire du Seigneur aux patriarches, à Israël et aux disciples de Yéchoua’ n’a, à dire la vérité, pas variée.

Un Juif qui croit dans le Messie Yéchoua’ et devient son disciple conserve-t-il son identité juive ? À mon sens : oui ! S’il demeure fermement attaché au Messie juif Yéchoua’ ; si sa piété s’inscrit dans la sphère juive ; s’il conserve un lien fort avec la communauté juive et Israël ; et s’il est témoin du Messie prioritairement auprès de sa propre communauté.

 

Après la lecture de cet article, je comprends que certains lecteurs seront peut-être dubitatifs et souhaiteront faire des remarques ou poser des questions. N’hésitez pas à écrire à la rédaction du Berger d’Israël.

Guy ATHIA

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ATHIA Guy

Directeur des publications du Berger d’Israël.

Vice-président de Beit Sar Shalom.

Conférencier et enseignant.

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